Le voyage commence avec l’historique fresque du peintre Raphaël « L’Ecole d’Athènes »,  réalisée entre 1508 et 1512 pour la Chambre de la Signature des musées du Vatican. Cette fresque symbolique représente les cinquante-huit figures majeures de la pensée antique 

Elle regroupe le mathématicien Euclide (300 BCE- 265 BCE) auteur du livre fondateur de mathématique « Les éléments »; le philosophe Averroès (Ibn Rochd de Cordoue), ainsi que l’astronome Ptolémée (100-170), qui a travaillé à la bibliothèque d’Alexandrie. Cette dernière crée en 288 avant notre ère et entièrement détruite plus tard entre 48 av. J.-C. et 642. Elle est considérée comme la bibliothèque la plus célèbre de l’antiquité et réunissait les ouvrages les plus importants de son époque. Elle regroupait des manuscrits et des livres de grande importance. Ces mêmes livres qui ont voyagé dans le temps, et ont permis le transfert des connaissances des sciences des recherches. 

Après l’Alexandrie, Saida nous embarque pour Bagdad où les Abbassides, au temps de Al Mansur (754-775), ont construit une bibliothèque qui va devenir la plus prestigieuse de toutes, après celle fondée par les Ptolémés à Alexandrie.  Elle a permis au grand écrivain de Basra Al-Jahiz de prendre connaissance d’Euclide dont il cite “Les éléments”, de Galien auquel il emprunte sa monographie sur l’ours, d’Hippocrate dont il démarque le livre des aphorismes et de l’anonyme indien qui a composé les Siddhanta en astrologie, connus sous le nom arabe de Sindhind.  

Cette bibliothèque qui portait le nom de « Khizânat Al-Hikma » , a été fréquentée et alimentée par la dynamique scientifique de cette ville . Elle a été occupée par les plus grands penseurs de l’époque ; Al-Kindi (801-873) surnommé « le philosophe des arabes »; al-Khawarizmi (780-850), mathématicien, géographe, astrologue et astronome perse ; Al- Razi (865-925) savant pluridisciplinaire perse et auteur d’un des tous premiers traités de psychologie et de psychiatrie; Avicenne (980-1037) philosophe et médecin médiéval perse.

Avant sa destruction totale par l’armée mongole durant la bataille de Bagdad en 1258, une autre ville jaillissait comme capitale de connaissance. Cordeau où régnaient les Omeyyades, adversaires des Abbassides. A côté de l’énergie déployée dans l’extension de la religion de l’islam, les Omeyyades brillaient par leur capacité à assimiler les éléments des cultures antérieures, hellénistiques, romaines, byzantines…Ils se sont développés en investissant dans la connaissance et les recherches. 

A son tour Cordoue s’est effondrée avec la disparition de la dynastie des omeyyades. La connaissance se déplaça alors à Tolède. Cette ville a été reprise par les chrétiens en 1085, en pleine Reconquista. Dans son livre «  The map of knowledge », l’historienne Violet Moller affirme “Toledo was a bridge between Graeco-Arabic culture and Latin Europe, a place where scientific knowledge was not only held in safety, but translated and transmitted to the scholars of the future.” Au 12eme siècle, la ville devient un centre de traduction très réputé, et surtout un lieu de rencontre entre les savants des 3 grandes religions chrétienne, juive, musulmane. 

Le savoir continue son voyage dans le temps à travers la traduction des manuscrits et livres, de Palerme (Palermo) pour arriver à Venise au 15 -ème siècle.  L’invention de l’imprimerie par Johan Gutenberg a aidé à répandre la connaissance. Une connaissance souvent imprimée et partagée dans les langues latines ; et qui a constitué le noyau de la renaissance. Cette dernière est une période de l’époque moderne associée à la redécouverte de la littérature, de la philosophie et des sciences de l’antiquité et qui a pour point de départ la Renaissance Italienne.

Tout au long de ce voyage dans le temps, la présence de la langue arabe était essentielle et a permis le transfert du savoir et la connaissance depuis l’Antiquité. L’arabe est la langue de l’écriture de la connaissance lors du Moyen Âge. El Rhazi et d’autres penseurs scientifiques utilisaient cette langue pour la recherche scientifique. La question qui s’impose est pourquoi ne retrouve-t-on pas cette langue aujourd’hui dans le domaine du savoir et de la connaissance ?    

D’une part, en comparant un extrait de « L’essai » de Michel de Montaigne (1580) en langue française et un autre du « Discours Décisif » (1179) d’Averroès en langue arabe, nous constatons que la langue française a beaucoup évolué depuis le 15 -ème siècle contre une langue arabe stable et inchangeable depuis plus de 7 siècles. Ceci peut expliquer une partie de l’inadaptabilité de cette langue au changement rapide du monde, de la communication et de la connaissance scientifique. D’autre part, la première presse arabe établie dans l’Empire Ottoman a été fondée à Constantinople, vers 1720 ; 3 siècles après l’invention de l’imprimerie en 1440. Selon Jack Goody, dans son livre “The Theft of History” : «The Emperor Ferdinand’s ambassador to the Turkish Sultan, Ghiselin de Busbecq noted ….They have, however, never been able to bring themselves to print books and set up public clocks. They hold that their scriptures, that is, their sacred books, would no longer be scriptures if they were printed». Ainsi l’implantation de l’imprimerie a été retardée par les sultans craignant que les textes religieux sacrés soient falsifiés.

Enfin, ethnocentrisme et surtout l ‘eurocentrisme, qui consiste à attribuer une place centrale aux cultures et valeurs européennes aux dépens des autres cultures, néglige l’apport des civilisations musulmanes, chinoises et indiennes dans l’histoire de l’humanité.  On s’est contenté de grecs et des romains et de leurs recherches. Ce phénomène était accentué par le protectorat pour justifier la présence européenne dans les terres arabo-musulmanes. “The problem for the rest of the world is that such beliefs are used to justify the way ‘others’ are treated, since those others are often seen as static, as being unable to change themselves, certainly without help from outside”  – Jack Goody, The Theft of History

Le voyage de Saida est finit, en montrant la facilité d’accès à l’information de nos jours. Il suffit de saisir la langue de communication, celle-ci permet la transmission de la connaissance dans l’histoire. L’évolution d’une société est liée à la pensée, à l’écriture et à la lecture.